Témoignages
Les pionniers du judo en France
Que vous inspire le judo actuel ?
Jean Beaujean : «Rien. Un fort qui bat un moins fort. Voilà, c’est tout. Appelez cela comme vous voulez.»
Jacques Belaud : «Je pense également, comme nombre de pionniers j’imagine, que ce n’est pas à une fédération d’amateurs de s’occuper de l’enseignement, ni de décerner les grades des professeurs. qu’elle demeure dans son rôle d’organisatrice des stages d’entraînements, de championnats régionaux et nationaux, des rencontres internationales ! les médecins sont-ils nommés par les malades ? Les professeurs sont-ils nommés par les élèves ? Chacun doit être là où il est le plus compétent et le plus efficace.»
Henri Birnbaum : «Il me fait beaucoup de peine ! Nous n’avons pas su conserver l’art de vivre engendré par cette discipline sportive. Le public assiste maintenant à une forme de lutte habillée. Auparavant, le judo était l’alliance de la technique et de la tactique, exigeant de surcroît une certaine forme d’intelligence pour devenir champion. Aujourd’hui, la tactique n’existe plus et la force physique prédomine.»
Guy Cauquil : «En s’entraînant avec des poids et avec des haltères, les combattants ont ralenti l’exécution de leurs mouvements. Ils ont oublié que le judo est un sport de vitesse et que la vitesse est une force. Le côté «escrime physique» de notre discipline a complètement disparu. Le judo a perdu son image du petit qui domine le gros.»
Maxime Chalier : «Le judo est devenu un sport de combat, donc ce n’est plus Le Judo, à cause des catégories de poids et des règles d’arbitrage. Le judo est un humanisme et le ravaler au rang de sport de combat, c’est le dénaturer et lui porter un préjudice considérable. Les principes sont complètement oubliés. On les affiche, mais on ne les applique pas. C’est comme le respect dû au anciens, ou le cadre moral».
Jean-Paul Garaix : «S’il veut s’adonner au judo pour faire de sport dans une perspective de développement physique, je ne lui conseillerai pas notre discipline, ce n’est pas un sport qui permet à l’individu de développer sa force ou sa musculature. Je l’orienterai vers le judo à la condition qu’il aime cela, ce qui est évidemment difficile à comprendre ou à sentir avant de l’avoir pratiqué !»
Jean Giraud : «Cela fait dix que je n’ai pas vu de rencontre de judo à la télévision , tout simplement parce que je n’aime pas les sports professionnels. Et le judo actuel, trop physique et trop loin de mes conceptions théoriques et intellectuelles, ne me convient pas.
Je crois qu’aujourd’hui les combattants se musclent trop, les ligaments ne tiennent pas, ce qui explique le grand nombre d’accidents en compétition. Dans le domaine des sports professionnels, football et rugby par exemple, les joueurs sont toujours à l’hôpital. Le judo est sur la même pente !»
Jean de Herdt : «Evidemment, il s’agit bien de judo, si l’on considère que les combattants portent le kimono. Pour moi, ce n’est pas le judo, car cela se présente davantage comme une amélioration du sambo : ce qui se pratique de nos jours est de l’ordre de la technicité du sambo. Aucun champion actuel ne pourrait rencontrer en ligne vingt adversaires ceintures noires de valeur et les battre».
Jacques Laglaine : «Qu’il n’oublie pas que le but du judo n’est pas de vaincre l’adversaire, mais de se vaincre soi-même, avec l’aide d’un ami bienveillant que l’on appelle l’adversaire. Se vaincre soi-même implique le développement d’un esprit éveillé, attentif et naturellement vigilant.»
Lucien Levannier : «La seul voie qui demeure, celle de la compétition, n’est certainement pas celle que souhaitait le professeur Jigoro Kano. Je conserve un ouvrage autobiographique de ce dernier, qui expliquant, il y a près de cent ans, que les dégénérescences qu’il constatait naissaient de la compétition. Celle-ci impliquant l’instauration de règles strictes et sclérosantes, la mise en place d’arbitres et non de juges.»
Charles Malaissé : «Une remarque sur l’arbitrage... Avant qu’il soit structuré comme aujourd’hui, il s’effectuait en kimono, ce qui n’est plus le cas maintenant. Les arbitres actuels sont en tenue de ville, ils ne connaissent pas forcément la compétition, c’est triste ! Et tout cela est devenu bien trop compliqué !»
Guy Pelletier : « Il ne faut pas que le judo soit professionnel à l’instar d’autres sports. Il doit rester ce qu’il est, c’est-à-dire, à la base, un judo éducatif. le judo ne s’apparente pas aux autres sports, il comporte, répétons-le, un aspect et un esprit éducatifs qu’il faut maintenir.»
Henri Plée : «Mais les fédérations, qui ratissent large pour obtenir des licences, se moquent bien de faciliter un travail supplémentaire d’un autre type, plus fouillé, plus profond. Elles n’ont que faire, sur les 560 000 licences distribuées, des 5 000 personnes qui continuent toute leur vie à pratiquer... Et c’est bien dommage, car c’est chez elles que demeurent l’esprit et les traditions.»
Raymond Sasia : «Je choquerai sans doute de nombreux jeunes en disant que je vois là davantage un judo qui se rapproche de la lutte, plutôt qu’un judo souple et élégant comme celui que j’ai inculqué à mes élèves. Peut-être la jeunesse, qui n’a pas fait l’expérience de la différence, n’acceptera-t-elle pas mon point de vue. Je me demande, parfois, si ces combats ne sont pas ceux de chiffonniers qui tirent à droite, à gauche... Mais tout cela n’engage en rien leur responsabilité : ils appliquent ce qui leur a été enseigné.»
Robert Sauvenière : «Dans de nombreux cas, la technique est vraiment mauvaise. Je reproche aux médias, en particulier à la télévision, leur chauvinisme. Si un français se place médiocrement dans une grande compétition, il est quand même cité et applaudi, tandis que sont totalement inconnus, faute de médiatisation, des champions exceptionnels, Yamashita par exemple, plusieurs fois champion du Japon et champion du monde... Ce sont pourtant les combats de ces grands champions qu’il faudrait offrir aux spectateurs du petit écran, ceux des athlètes qui se tiennent droits, qui offrent une technique digne de l’idéal du judo et qui gagnent sans bataille de chiffonniers. C’est ce que les maîtres du judo appellent utiliser son énergie judicieusement.»
Alain Valin : «Je pense que le judo n’est pas spectaculaire dans sa forme actuelle. Les consultants spécialistes à la télévision se dépensent sans compter, vainement, car leur temps de reportage est chronométré. A la vérité, c’est ennuyeux.»
Jean Zin : «Je regrette que l’arbitrage pose aujourd’hui autant de problèmes et soit devenu la source de multiples complications. Et puis, pour obtenir le d’un combat, les points sont maintenant si rares que l’aspect spectaculaire du judo a pratiquement disparu.